« Ça me rappelle mes soirées près d'Erebor », se murmura-t-il à lui même.
Regardant les flammes monter vers le ciel, Gudrimhid se perdit dans ses pensées.
« Voilà près de dix ans, dix années que je suis au service de mon Roi, le Roi Brand, petit-fils de Bard le tueur de dragon, descendant d'une lignée de grands hommes qui ont toujours défendu notre cité, Esgaroth.
Et pourtant, pour ma famille, tout ne fut pas simple ; il a fallu la mort de mon grand-père pour que la ville reconnaisse notre appartenance à cette cité.
La fin tragique de mon grand père… chose assez glorieuse s'il en est. Il tomba lors de la furie de Smaug sur Esgaroth. Après la mort du dragon, tous les guerriers morts furent honorés pour leur sacrifice, et chaque famille se vit offrir une éternelle reconnaissance du nouveau Roi de cette époque, le Roi Bard. Depuis ma famille a toujours été bien acceptée auprès du Régent.
Les Limnir ont toujours été de bons artisans et de puissants guerriers, ils ont toujours défendu cette ville et la défendront éternellement. J'ai suivi les traces de mon père, et je suis devenu forgeron comme lui. Toutefois je protège également la ville. A l'âge de vingt ans, je fus officiellement reconnu "Défenseur de la cité sur l'eau", comme tous les guerriers qui souhaitent aider notre royaume.
Je fais partie d'une compagnie ayant pour rôle la surveillance et le contrôle des zones habitées près d'Esgaroth. Nous débusquons les créatures hostiles à notre peuple, permettant ainsi de couper court à toute intrusion d’orques ou de gobelins : « la bataille des cinq armées ne doit plus jamais se reproduire ! » Telles avaient été les paroles de mon Roi.
Je suis comme tout habitant du pays de Dale, je donnerais ma vie pour cette cité et ne l'abandonnerais sous aucun prétexte. Cela se ressent dans tout ce que je fais : je n'abandonne que rarement un de mes compagnons, il m'est impossible de le laisser mourir sans rien faire.
Alaen, ma compagne, j'avais promis, pardonne-moi..., pensa-t-il.
Les souvenirs resurgirent brusquement : l'attaque des orques sur leur patrouille, les deux amants séparés par les combats. Gudrimhid essaya bien de se frayer un chemin au travers des créatures, mais il ne retrouva la guerrière morte qu'après la bataille.
- J'aurais dû être là pour te protéger...
Les larmes se mirent à couler lentement… Retrouvant un peu ses esprits après avoir avalé un peu d'hydromel, il essaya de penser à autre chose.
« Quelque chose se passe à l'est, les Orientaux font mouvement, mais n'osent pas encore passer nos frontières. Je vous charge de me trouver tous les renseignements possibles sur ce qui se passe en Terres du milieu. Explorez toutes les contrées, et trouvez moi une réponse ! Je pense le savoir, mais cela ne se peut… J'espère que vous m'apporterez d'autres nouvelles. »
Voilà les dernière paroles qu'entendit le guerrier avant de partir à bride abattue vers l'ouest, vers le pays de Bree. Le roi leur avait demandé de trouver une explication, et Gudrimhid se devait de la lui donner. Il avait alors regardé une dernière fois la cité sur le lac :« Tant de souvenirs... »
Brand avait proposé plusieurs destinations. Gudrimhid s'était précipité pour choisir sa route : un autre but l'attendait là-bas. Un destin qui repose sur ses origines, l'origine de sa famille, un secret bien gardé.
Les Limnir, personne ne les connaît.
« Les Limnirs sont originaires de Numenor, comme tout Edain.
Seulement, là où certains ont continué à adorer les Valars et d'autres à révérer Sauron, la vision des choses de ma famille s'est éloignée de ces deux courants de pensée.
Nous étions proches, au début, des Numéronéens Noirs, comme on les appelle maintenant; nous voulions, enfin mes ancêtres voulaient, l'immortalité des elfes. Mais la façon d'agir des Sombres était en totale contradiction avec nos principes.
En effet, les Limnir ont rapidement pensé que tout être vivant sur les Terres du milieu devait avoir les mêmes chances de survivre ou d'évoluer. Ils avaient alors soutenu le Roi de Numenor qui réclamait le don d'immortalité aux Edains. Toutefois, une fois la guerre officiellement déclarée, ma famille s'éloigna du pouvoir, opposée à une telle décision. Ils évacuèrent alors l'île avant qu'elle ne soit engloutie, comme le firent ceux de l’autre camp, ceux qu'on allait appeler les Dunedains.
Malheureusement ils trouvèrent une telle dévotion envers les Valars de la part de ce peuple, que les Limnirs passèrent assez rapidement pour des Numéronéens Noirs; ils durent s'enfuir et éviter aussi bien les Dunedains que les Sombres.
Dans leur fuite, ils retrouvèrent des familles en accord avec leurs convictions et qui étaient, également, injustement pourchassées. Ensemble ils décidèrent de toujours rester en contact, et pour honorer ce pacte, ils créèrent une organisation secrète, une confrérie, une lumière qui guide depuis nos pas : la confrérie Itila Cala était née.
Presque trois mille ans se sont écoulés depuis, les principes familiaux ont depuis toujours perduré, mais ont quelque peu évolué.
La dernière génération de Limnir, dont je fais partie, pense que tout être vivant peut décider de son destin. Les Valars peuvent aider à guider certains, mais nous refusons leur pitié. Nous estimons qu'ils ont fait assez de mal et qu'il est temps de donner la liberté à leur création, liberté qui passe par une étape d'égalité entre tous les peuples.
Nous voyons les Dieux comme des parents trop possessifs qui préfèrent certains de leurs enfants, ce qui, pour nous, ne peut amener que des rivalités avec le temps, et donc au chaos. Toutefois les Limnirs ne jalousent pas les autres races, car après tout, on n’est pas responsable des décisions de ses parents. »
Cette façon de voir s'était généralisée dans toute la famille Limnir jusqu'à son actuel représentant, Gudrimhid Limnir.
Pour garder contact, les représentants des familles pourchassées, ainsi que certains de leurs soutiens, nains, elfes et hobbits partageant les mêmes convictions, décidèrent d'organiser une réunion annuelle pour que chacun puisse discuter, donner des nouvelles ou demander de l'aide.
Cette année, la réunion devait se faire à Bree...
La bûche crépita, certaines braises volèrent dans le ciel noir. Gudrimhid les regarda. Il soupira avant de se lever.
Après de brefs sifflements, un oiseau arriva sur son épaule.
« Rapporte ce papier au Roi, il attend mon rapport. »L'oiseau sembla l'écouter un instant, puis il s'envola en direction de l'est, vers le pays de Dale.